Surfez sur la vague de l'émotion

Le vague à l’âme ou…surfez sur la vague de l’émotion

 

Une situation professionnelle chargée émotionnellement :

Dans une Maison de repos, un résident frappe l’aide-soignante qui veut le laver.  Choquée, elle quitte la chambre et va voir la directrice qui lui répond : « Ecoute, c’est un client, je ne peux rien faire.  Il faut t’endurcir »

Mais au fond, l’émotion c’est quoi et ça sert à quoi ? Quelques généralités 

Les émotions sont à l’homme ce que le voyant lumineux est au tableau de bord d’une voiture… Un signal qui informe qu’il se passe quelque chose qu’il serait bon de traiter si l’on veut éviter la panne future…

En tant que professionnels de l’accompagnement (éducateurs, coach, managers, conseillers, consultants, assitants sociaux, psychologue, soignants…), nous donnons de l’écoute, du soutien, du contenant, nous accueillons la souffrance et/ou le questionnement de l’autre, ce qui déclenche chez nous souvent une charge émotionnelle importante.

Comment rester professionnel dans l’accueil de l’émotion de l’autre et face à notre propre ressenti ?  Pour certains, « les émotions, ce n’est pas professionnel ».  Cette conception péjorative des émotions peut amener certains professionnels à nier, voire refouler, leurs émotions.  D’autres, au contraire, face aux situations rencontrées, se sentent envahis par la détresse de l’accompagné, ou par la colère, et ne peuvent plus « travailler sereinement », prendre du recul, à tel point que cette charge émotionnelle parfois les accompagne jour et nuit, ou les fait « passer à l’acte » (crier, tempêter, refuser de parler à tel ou tel collègue…).

Revenons à notre situation professionnelle évoquée en début d’article.  La directrice, par ses paroles, nie le choc émotionnel que vit son aide-soignante et l’invite à ne pas tenir compte de ce qu’elle sent. Il reste à l’aide-soignante à « ravaler » son désarroi, ce qui à long terme, et si la situation se répète, peut s’avérer dommageable dans la mesure où l’aide-soignante risque d’accumuler un vécu de violence, qu’elle peut soit refouler avec le danger de la somatisation dans le corps, soit retourner contre ses collègues ou un résident en « lâchant la soupape », et en adoptant des comportements inadéquats : paroles blessantes, cris,…

Et puis surtout, à la longue, un vécu d’échecs risque de s’imprimer en elle, abîmant l’image qu’elle a d’elle-même, détruisant sa confiance en elle…

Par ailleurs, l’attitude de la directrice ferme un autre volet tout aussi essentiel à analyser : le « comment se fait-il » que le résident en vienne à frapper une aide-soignante au moment de la toilette ?  Il est nécessaire de chercher à comprendre, ou a minima de trouver le sens, de cette attitude violente, signe qu’un besoin est à prendre en compte chez ce résident.

Certains professionnels, par contre, utilisent les émotions ressenties comme une source d’informations, un signal leur indiquant un besoin chez eux ou chez l’autre « qui requiert attention et action »

Cela leur permet de surfer sur la vague de l’émotion tout en restant en équilibre.  Ainsi, pouvoir se situer entre le déni émotionnel et le débordement émotif est un long apprentissage, qui se poursuit tout au long de la vie, où nous apprenons à nous mettre à l’écoute de nos besoins, ce qui nous offre une meilleure connaissance de nous-même et un meilleur équilibre.

En effet, l’inhibition des émotions, leur refoulement risque d’entraîner une souffrance psychique profonde, voire des problèmes psychosomatiques.  Le corps peut se mettre à avoir mal, à développer des pathologies, des maux à défaut de mots mis sur sa souffrance émotionnelle.  Dans le cas contraire, le débordement des émotions peut entraîner la personne à adopter des attitudes blessantes pour autrui, inadaptées, voire disproportionnées, ce qui risque d’abîmer la relation avec autrui et entraîner une souffrance supplémentaire.

Apprendre donc à gérer ses émotions, c’est-à-dire accueillir leur présence, les reconnaître, les verbaliser, accepter de les traverser malgré l’inconfort que cela suscite, déceler le besoin sous-jacent, agir en conséquence, permet de développer notre potentiel intérieur, de sauvegarder notre santé et nos relations avec autrui.

 

Que peut nous apprendre la pleine conscience sur les émotions ? 

Eric Remacle, dans son livre « Le bonheur ou le stress, une décision de chaque instant » nous offre une perspective nouvelle dans la gestion de nos émotions et de notre stress, celle de la pleine conscience.  La pleine conscience est cette démarche d’attention, de présence à soi, dans l’ici et maintenant, avec bienveillance et douceur.  Peut-être avez-vous déjà observé que penser ou repenser à certaines paroles dites, à certaines attitudes adoptées par soi-même ou quelqu’un d’autre nous replonge dans la débâcle émotionnelle…Et nous ruminons…souvent, parfois beaucoup, parfois même la nuit…

Cet auteur distingue 4 mondes mentaux, qui nous happent fréquemment, à notre insu, et qui sont responsables d’émotions négatives : 

1. le monde de l’analyse où nous essayons de décrypter, de décoder afin de comprendre.  Il est utile en soi parce qu’il permet d’apprendre, mais il peut devenir toxique lorsque les pourquoi n’en finissent plus de nous tarauder…,

2. le monde des jugements et des suppositions : c’est humain, nous jugeons et émettons notre avis sur tout ce que nous voyons, ou presque.  Cela devient empoisonnant lorsque des pensées insidieuses telles que « il ne m’a pas dit bonjour ce matin, ça veut dire qu’il ne m’aime pas » nous envahissent, nous persécutent.

3. le monde des regrets : combien de temps passons-nous à ressasser le passé et à se répéter : « j’aurais dû faire ceci, je n’aurais jamais dû répondre comme cela, il n’avait pas le droit de… »

4. Le monde des désirs : à comprendre dans le sens où subordonner son bonheur à la réalisation de ses désirs est une manière très efficace de se rendre malheureux, puisque la réalisation effective de tous nos désirs est assez improbable.  Ceci dit, avoir des projets et des envies ne peut qu’être porteur dans la vie, mais en faire dépendre son bonheur profond ne peut que générer, tôt ou tard, des émotions « négatives ». 

La gestion des émotions avec la pleine conscience 

a.La présence à soi

Si nous prenons le temps de nous observer, nous allons remarquer que nous sommes souvent  dans l’un ou l’autre, voire plusieurs de ces quatre mondes.  Or ceux-ci sont la source d’émotions « toxiques », qui nous coupent du monde réel, c’est-à-dire de l’ici-maintenant : lorsque nous sommes happés dans l’un de ces mondes mentaux, nous ne sommes plus présents à nous-même, nous ne voyons plus le beau paysage que nous traversons, nous ne goûtons plus la nourriture que nous avalons, nous ne profitons plus de la chaleur et de la douceur d’une douche…nous sommes constamment « ailleurs », dans nos pensées et nous passons à côté des petits moments de bien-être que l’on peut se créer en étant présent à soi-même dans l’ici maintenant.  S’entraîner à être présent à soi-même (par exemple, être plus conscient de sa respiration) est une première manière de remettre un peu de calme, de paix à l’intérieur de soi et donc de prendre du recul par rapport à ces émotions qui nous font mal.

b. Auto-flagellation/bienveillance

Etre présent à soi-même, c’est aussi observer les croyances que l’on nourrit envers soi, notre capacité à s’auto-reprocher une série de choses, à « se flageller » moralement, à manquer donc de bienveillance pour soi.  Le constater, sans jugement, en identifier l’origine pour s’en distancier, c’est s’offrir une chance de corriger cela, de penser autrement de soi à soi.

Laurent Gounelle, dans son livre « L’homme qui voulait être heureux » utilise l’image du petit enfant qui apprend à marcher pour expliquer ce qu’est la bienveillance : L’enfant va tomber environ 2000x, mais toujours il se relève.  Quand votre enfant tombe, vous n’allez pas le punir ou lui reprocher de n’être pas doué, vous l’aidez à se relever, avec compassion et douceur, intimement convaincu qu’avec le temps il va y arriver.  Et effectivement, un jour il y arrive.  L’attitude bienveillante, envers soi et les autres, c’est celle-là : observer que l’on « tombe », c’est-à-dire qu’on se trompe, ne pas s’en vouloir et continuer à se relever, convaincu qu’un jour, nous ne nous tromperons plus…  Cette attitude permet d’atténuer la mésestime de soi, tellement douloureuse à vivre

c. Accuser l’autre ou conscientiser ses zones vulnérables

Remacle nous invite ensuite, lorsque nous sommes blessés, en colère, honteux, coupables…à observer la tendance instinctive de chacun d’entre nous à accuser l’autre.  « C’est sa faute si… », « s’il n’était pas là, l’ambiance serait meilleure… » Peut-être.  Et peut-être pas.  Parce que nous avons chacun nos croyances, limitantes ou porteuses, notre sensibilité, nos zones fragiles, nos blessures, qui nous rendent insupportables certaines paroles ou attitudes d’autrui.

Ces zones de fragilité ou de blessure font de chaque être humain une petite bombe émotionnelle à laquelle est accrochée un détonateur.  Les paroles ou attitudes blessantes d’autrui viendraient appuyer sur ce détonateur, et la petite bombe que nous sommes exploserait.  Autrui ne serait donc qu’un déclencheur de nos émotions mais ni le coupable ni le responsable.

Par la pleine conscience, nous pouvons observer l’impact des paroles ou attitudes d’autrui sur nous-même, prendre conscience de l’existence de notre blessure, reconnaître cette douleur en nous.  Ceci est déjà un enseignement sur là où nous en sommes, sur nos zones de fragilité et de force, face auxquelles nous avons le choix, en tout cas la responsabilité, de les travailler, d’élaborer afin de nous rendre moins vulnérables.

Cette position est certes difficile, parfois inconfortable, mais si nous acceptons de jouer le jeu, c’est en liberté que nous gagnons, en ne laissant plus aux autres le pouvoir de nous blesser, de nous malmener.

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